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M’est-il permis de suivre un avis juridique faible ?

18 août 2025

Question

M’est-il permis de suivre un avis juridique faible ? Si oui dois-je avoir la permission d’un mufti ?

Réponse

Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux, que la grâce et le salut soit sur notre maître Muhammad, sa famille et ceux qui les ont suivi.

Cette question mérite à la fois de l’impartialité et de la nuance. Nous avons bien remarqué l’intransigeance de quelques uns sur ces questions – qu’il ne faut pas confondre avec de la rigueur. Nous formulons l’hypothèse que l’extrême rigidité des uns est une réaction au laxisme et au manque de sérieux des autres. La rigidité peut se parer de rigueur, elle n’en changera pas pour autant de nature.

Nous avons pour seule boussole, les paroles des maîtres de l’école en la matière. Rappelons quelques règles de base :

  1. Il est, en principe, obligatoire de suivre l’avis fort, notoire (machhûr) ou prévalent (râjih) et interdit d’appliquer les avis faibles.
  2. Il est permis de suivre l’avis faible en cas de nécessité, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui explique leur présence dans les ouvrages et leur citation dans les cours dispensés.

Ad-Dardîr a dit à cet effet 1 : « Il n’est pas permis d’appliquer un avis faible pour sa pratique personnelle sauf si quelque chose l’implique ».

As-Sawî le commente 2 : « c’est à dire une situation de nécessité (darûra) qui le concerne lui, mais il ne donne pas cet avis à quelqu’un d’autre, par précaution, car il ne peut pas s’assurer que la nécessité soit présente également chez autrui ».

Al-Bannânî dit : « Il est permis d’appliquer un avis faible pour sa pratique personnelle en cas de nécessité avérée, mais pas de donner la fatwâ avec car on n’est pas certain de la nécessité pour autrui. Ainsi, pour fermer la porte (saddan li-dharî’a) au fait de donner des avis faibles sans nécessité avérée, ils ont interdit de donner la fatwa par autre que l’avis notoire et prévalent, mais non pas en vertu d’une interdiction d’appliquer un avis faible en soi. ». Al-Amîr a dit, « on déduit des propos d’al-Bannânî qu’il est permis de donner un avis faible à son ami car sa situation n’est pas un secret pour nous, et que dans ce cas, la nécessité peut être établie. »

Ad-Dardîr dit 3 : « Si l’on disait : quel est donc l’intérêt de mentionner les avis faibles puisque l’on ne peut les mettre en pratique ni émettre la fatwâ avec ? Nous répondrions trois choses :

  1. pour élargir la réflexion et augmenter la science et montrer que l’avis retenu ne fait pas consensus.
  2. connaître les arguments des avis. Ainsi, celui qui est apte à effectuer des prévalences peut octroyer la prévalence à un avis affaibli si l’argument est plus fort pour lui.
  3. afin de le mettre en pratique dans sa pratique personnelle en cas de nécessité ».

Ces textes montrent de manière évidente :

  • que personne d’autre que soi n’est plus à même d’apprécier la nécessité. Si certains ont interdit de donner la fatwâ par un avis faible c’est qu’ils pensent justement que le mufti ne peut pas s’assurer de la présence de la nécessité. Affirmer de manière absolue qu’on ne peut pratiquer l’avis faible qu’en passant par l’approbation d’une personne est donc une méconnaissance manifeste des textes de l’école.
  • que le pivot de l’interdiction de répondre par un avis faible est la non-certitude de la nécessité. مدار عدم جواز الفتوى بالضعيف عدم تحقق الضرورة . Dès lors qu’elle est avérée, cela est permis. ‘Illîch dit 4 : « il incombe d’appliquer l’avis prévalent (râjih) et de ne pas donner la fatwâ par autre que lui, sauf en cas de forte nécessité (darûrah fâdiha) et que cela entraine un préjudice évident (mafsada wâdiha). »

Nous nous étonnons d’avoir souvent entendu « il est interdit de donner la fatwâ par autre que le machhûr » sans la suite du propos. Que Dieu nous préserve ainsi que les cadres religieux d’imposer aux gens qui nous consultent le fruit de nos passions.

Il est donc permis de suivre un avis faible dans sa pratique personnelle et de donner la fatwâ en cas de nécessité. A ce propos, le chaykh de nos chuyûkh, Muhammad Fall (Abbâh), a dit 5 dans son commentaire du Marâqi Sa’ûd : « ce qui apparait est qu’il s’agit du besoin et non de la pure nécessité sinon cela reviendrait à permettre ce qui est déjà permis de manière catégorique puisque la règle est connue : la nécessité lève les interdits ». C’est à dire qu’il n’y aurait aucun intérêt à le préciser si ce qui était visé était la nécessité et non le besoin étant donné que le fait que la nécessité lève les interdits est déjà connu, donc la permission de suivre l’avis faible intègre déjà cette règle.

Il s’appuie sur le précédent mentionné dans la fatwa de Sanûsî dans le Mi’yâr 6 .

Il nous semble, toutefois, que ‘Illîch à travers les termes qu’il emploie cherche à bien montrer qu’il s’agit d’une nécessité et non simplement d’un besoin. Il paraît donc y avoir divergence sur ce point.

Ceci étant dit, tous les avis faibles ne sont pas praticables. Il y a des conditions, et c’est dans ce cadre que l’imitateur (muqallid) non versé dans les sciences religieuses est amené à s’orienter vers une personne de science.

Le chaykh al’Alawî, al-usûlî, l’auteur d’une alfiya de référence dans les fondements du droit malikite, a dit 7 : « que ce soit en cas de nécessité, que l’avis ne soit pas trop faible que l’auteur de l’avis soit identifié, et la nécessité qui le concerne avérée ».

Chaykh Muhammad Fall dit en commentaire : « que l’avis ne soit pas trop faible vise les avis qui seraient annulés si un juge rendait sa sentence avec ». Ce sont les avis 8 qui :

  1. contredisent un consensus,
  2. contredisent une règle,
  3. contredisent un texte univoque (nass)
  4. s’opposent à une analogie évidente.

A ce niveau, en effet, une personne lambda, d’une part, risque d’ignorer s’il existe un avis faible concernant la situation qu’il rencontre, et s’il connait un tel avis, n’est-il pas considéré comme trop faible ? Il devra donc se tourner vers les gens de science pour éclaircir cela.

En résumé, vous êtes plus à même d’apprécier la nécessité vous concernant qu’une tierce personne, fut-elle mufti, mais à vous d’être sincère envers Dieu et envers vous-même, il en va de votre responsabilité. Ceci dit, échanger avec une personne pieuse et savante peut vous aider à déterminer le degré de nécessité si vous êtes hésitante mais cet échange n’est pas une condition pour recourir à l’avis faible. Par contre, si vous n’êtes pas assez versé dans les sciences juridiques, vous devez vous orienter vers un savant, soit tout simplement car, ne connaissant pas les divers avis, vous souhaitez savoir s’il existe un avis faible pouvant palier votre situation difficile, soit pour déterminer le degré de faiblesse d’un avis dont vous auriez déjà connaissance.

Nous demandons à Dieu la mesure, la justesse, l’équilibre et la rigueur.

Et Dieu est plus savant.


1 As-Sâwî, Bulghatu-Sâlik, tome 4, page 189 et suivantes, édition Maktaba Shâmila. وَيَجُوزُ لِلْإِنْسَانِ أَنْ يَعْمَلَ بِالضَّعِيفِ لِأَمْرٍ اقْتَضَى ذَلِكَ عِنْدَهُ

2 Citation : قَوْلُهُ: [لِأَمْرٍ اقْتَضَى ذَلِكَ عِنْدَهُ] : أَيْ لِضَرُورَةٍ فِي خَاصَّةِ نَفْسِهِ وَلَا يُفْتَى بِهِ لِغَيْرِهِ؛ لِأَنَّهُ لَا يَتَحَقَّقُ الضَّرُورَةَ بِالنِّسْبَةِ لِغَيْرِهِ كَمَا يَتَحَقَّقُهَا مِنْ نَفْسِهِ سَدًّا لِلذَّرِيعَةِ كَمَا يُفِيدُهُ (بْن)

3 Ibid, page 190.

4 Chaykh ‘Illîch, recueil de fatâwa, tome 1, page 63 ﺘﻌﻴن ﻋﻠﻴﻪ اﻝﻌﻤل ﻋﻠﻰ الراﺠﺢ وﻻ ﻴﻔﺘﻰ ﺒﻐﻴرﻩ إﻻّ ﻝﻀرورة. ﻓﺎدﺤﺔ أو ﻤﻔﺴدة واﻀﺤﺔ.

5 والذي يظهر أن المراد بالضرورة فيه الحاجة لا الاضطرار وإلا فهو مبيح ما كان حراما قطعا لما علم أن الضرورات تبيح المحظورات

6 مسألة تقليد رخص المذاهب تعرض لها صاحب المعيار فى جواب للسنوسي قال اما من يقلد فى الرخصة يعنى رخص المذاهب من غير تتبع بل عند الحاجة إليها فى بعض الأحوال لخوف فتنة ونحوها فله ذالك ثم قال فى خاتمة الجواب اما من قلد القول الشاذ لأنه حق فى حق من قال به وفى حق من قلده ولم يحمله عليه مجرد الهوى بل الحاجة والاستعانة على دفع ضرر ديني اودنيوي يؤدي إلى فتنة فى الدين ثم شكر الله على كون ذالك القول وافق غرضه وهواه ولو لم يجد من الحق ما يوافق هواه لصبر وخاف الله تعالى فهذا ترجى له السلامة فى تقليده

7 Chaykh Abbâh, Haliyu tarâqî min maknûn jawâhiri-l-marâqî, tome 2, page 429.

كونه يلجى إليه الضرر ... إن كان لم يشتد فيه الخور
وثبت العزو وقد تحققًا ... ضرا من الضربة تعلقًا

8 ولا يرد هذا على ما ذموه من تتبع الرخص؛ لأن مرادهم بالرخص المذموم تتبعها ما ينقض عنه حكم الحاكم، وهو أربعة: ما خالف الإجماع، أو القواعد، أو النص، أو القياس الجلي. قاله الشبراخيتي